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DE L’IMAGINATION

Moi. — Crois-tu qu’il serait possible d’analyser l’imagination d’un homme tel que celui-là ?

Mon père. — Tout s’analyse, mais ce serait dommage de démonter la divinité : que ses moyens, comme son orchestre, demeurent dans l’ombre. Sa sensibilité, d’un ordre tout spécial, m’apparaît surtout légendaire. Il est possible qu’il ait voulu des personnages à la taille de leurs milieux, et l’on voit malaisément des hommes ordinaires en proie à la mer de Tristan ou à la Foret de Siegfried. Qu’importe ! Il arrive à nous émouvoir avec ces passions supra-terrestres. Dans Tristan, l’humanité a une part plus grande. Ce sont bien nos blessures qui saignent aux flancs des amoureux, et que ne guérirait point la lance sacrée, celle que rapporte le héros.

Moi. — J’ai entendu des amoureux de musique soutenir cette thèse, que l’imagination musicale n’a pas besoin de l’élément dramatique en tant que manifesté par des personnages et les passions de ceux-ci : « Le drame, disent-ils, est dans la musique même, dans le développement architectural des diverses parties d’une symphonie, où tout se tient, s’enchaîne, et s’entr’aide, achève une véritable construction sonore. Les phases classiques de la symphonie sont calquées sur les mouvements de l’âme, avec une sagacité toute platonicienne, lorsqu’une émotion vive vient