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DE L’IMAGINATION

ébranler fortement cette âme et qu’elle chante après sa blessure. Andante, Adagio, Allegro, Scherzo, Finale. Voilà des stades de sensibilité que les philosophes n’ont point inventés, et qui correspondent au réel sublime, à celui dont l’intuition n’appartient, d’âge en âge, qu’à quelques privilégiés. »

Je suis prêt à être de cette opinion lorsque j’entends une symphonie de Beethoven. Il me semble même que mon émotion soit, à cette minute, d’une qualité plus grave et plus rare qu’à l’audition d’un fragment de la Tétralogie.

Mon père. — Dis donc que le chef-d’œuvre de Beethoven, plus ramassé, plus concentré, produit sur toi une impression totale en une durée plus courte qu’un drame, avec ses haltes nécessaires, ses changements de décors, ses longueurs explicatives. Or, dans notre étude, il faudrait tenir compte de l’élément durée.

Certains, d’un métal plus fragile, entrent immédiatement en branle et rendent un son d’enthousiasme qui cesse vite, comme il s’était produit. D’autres, d’un bronze épais et résistant, conservent les vibrations transmises. Il est des esprits lourds à se mettre en train, des imaginations paresseuses, qui, une fois séduites et captées, n’abandonnent plus aisément l’objet qu’on leur a donné en pâture. Elles le transforment de