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ALPHONSE DAUDET

Depuis ce jour jusqu’à sa fin, il ne cessa de me conseiller, de m’éclairer, de me guider. Nous avions une telle habitude de la causerie que j’interprétais ses silences, et qu’un seul mot de lui me valait de longues phrases. Il me fut désormais sans trêve un critique impartial et tendre.

Dans ces dernières années, la crainte de le perdre m’envahissait, mais me rendait, par un triste privilège, attentif à ses moindres paroles. C’est ce qui me permet d’écrire ce livre. J’ai vécu comme dans un sanctuaire où brillait une flamme perpétuelle. Notre jardin de Champrosay et son cabinet de travail sont peuplés de conversations où je me bornais à l’interroger sur les grands problèmes humains. J’essaierai de donner l’idée de son langage bref, elliptique et pittoresque, se rapprochant beaucoup du regard par l’intensité, la rapidité, l’accumulation des images. Certes, le romancier fut puissant, et l’avenir le montrera davantage, mais l’homme n’avait pas son pareil pour le trésor d’expérience et de vérité qu’il monnayait de l’aube à la nuit.

Ses amis connaissaient sa divination. Il analysait les événements les plus lointains, les plus divers, avec une perspicacité presque infaillible. Ses rares erreurs devenaient pour lui autant de motifs d’observations nouvelles. Sa pitié et sa charité se