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DE L’IMAGINATION

renseignements. Il questionnait tout le monde. On le trouvait au milieu des plans, des cartes, des photographies. Sur le point de se mettre en route, il avait déjà usé son plaisir. Son imagination, qui était grande, devint ainsi pour lui un fléau perpétuel. S’il entreprenait quelque chose, il se représentait par alternatives la réussite ou l’insuccès avec une force telle que ni l’un ni l’autre ne pouvaient plus l’impressionner. Cet ami m’a, par ce petit côté, rappelé le grand Empereur, l’lnamusahle. « J’ai bâillé ma vie », s’écrie Chateaubriand, autre imagination puissante.

Ce qui nous frappe et nous émeut aussi dans la conception de Bonaparte, c’est sa rapidité et son universalité. Rœderer nous le montre au Conseil d’Etat s’occupant de tout, méticuleux à l’excès, suivant les questions dans leur détail, interrogeant, notant, classant, donnant la parole aux inventifs. Et partout et toujours, dans son fauteuil, comme sur le champ de bataille, ce qui nous déconcerte, c’est la mise en œuvre d’une imagination admirablement souple, que les faits ne rebutaient pas.

Que les faits ne rebutaient pas. Par là, cette imagination diffère de tant d’autres plus surprenantes peut-être que la sienne, mais s’attaquant à des objets ou à des projets en dehors de la réalité.