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DE L’IMAGINATION

Et vraiment les tours d’esprit sont faciles si on les compare à la longue patience qui peut effectuer quelque chose.

Aussi Napoléon avait-il en haine ceux qui broient à vide, les moulins inutiles. S’il détestait les idéologues, c’est qu’ils représentaient des forces perdues, et rien n’irritait ce grand homme comme le gâchis et le déchet. Devant l’abus que l’on fait aujourd’hui des mots et des formules, on se demande s’il avait tort. J’éprouve, pour ma part, une sorte de déplaisir quand je vois la pensée humaine s’écarter de l’humanité et dépenser tant de ressources dans des spéculations creuses.

Moi. — Ne crois-tu pas que l’imagination des métaphysiciens ait son utilité lointaine ? Il me paraît que, dans cette vapeur, se préparent les grands événements. Ils sont, à coup sûr, le témoignage de l’inquiétude d’une époque. La pensée, privée d’objets immédiats ou les dédaignant, se prend elle-même comme étude. Dans la mise en question qu’elle fait de tous les problèmes, il y a une vertu révolutionnaire et, ne nous le dissimulons pas, la révolution perpétuelle est le meilleur état du cerveau. Les idées qui se figent et se fixent deviennent autoritaires et odieuses. L’Église n’est pas seule à donner l’exemple d’une philosophie de la liberté qui fournit des armes au