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DE L’IMAGINATION

un zèle absolus. Après quarante années d’observation constante, et je dirais presque maladive, tellement mon prochain m’a toujours tourmenté, j’en suis arrivé à cette constatation que je sais bien peu de choses, que je tiens un fort petit nombre de notions claires. Ceux qui prétendent explorer ce délicat domaine avec des instruments de mesure, des schémas ou des théories sont de malheureux égarés. Ils méritent plus que toute autre personne le reproche d’aliénation. Il faut être fou pour supposer qu’on puisse faire tenir dans un petit livre le dernier mot sur n’importe quelle question touchant à l’intelligence ou au vouloir.

Pour ce qui est des savants ils m’ont, d’après ma marotte, plus ou moins intéressé selon que leur science était plus ou moins humaine, tournée vers nos grandeurs et nos faiblesses.

J’ai connu des médecins admirables qui n’étaient pas des théoriciens de génie et qui, cependant, étaient des guérisseurs. Ils allaient droit au mal et le combattaient. N’est-ce pas dans le diagnostic que la faculté des images doit avoir une part prépondérante ? Un bon clinicien doit se représenter la carte complète du corps humain avec ses « terrae incognitæ », ses lions et ses tigres indiquant notre ignorance, semblables à ceux des anciennes cartes de géographie. Il doit aussi se représenter la