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DE L’IMAGINATION

aux imaginations les plus vives une bride qui souvent doit être douloureuse.

Puis le savant, lorsqu’il découvre, a la tristesse de se dire qu’il ne fait que constater. L’artiste a l’illusion qu’il crée. En réalité, cette création est, elle aussi, pour la plus grande partie un mirage, puisque l’art est un heureux choix, un assemblage de beautés déjà existantes. Le littérateur n’invente pas un sentiment nouveau, un caractère inédit, pas plus que le dramaturge. Le rythme même, la cadence qu’il donne à son récit, son style vient de quelqu’un et, si personnel qu’il soit, admet une origine, une naissance. Le peintre ni le sculpteur ne représentent rien qui ne préexiste dans le monde. Il en va un peu différemment pour la musique. Mais, à voir les choses de près, elle est la haute manifestation d’une harmonie dont les modèles sont dans la nature. Et cependant l’écrivain, le peintre, le sculpteur, le musicien, lorsque leur œuvre les entraîne, croient de bonne foi ajouter à l’univers quelque chose qui n’y était pas avant eux.

Illusion sublime et qui rend invincible ! Il est douloureux de se dire que l’on est dans une prison dont l’on ne peut que compter les barreaux. Il est douloureux de songer que l’esprit humain a des lois et des limites, que la fantaisie ne peut dépasser un certain point ; que l’on ne s’arrachera