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DE L’IMAGINATION

champs, au ciel, aux fleurs, à tout ce qui bouge et palpite en dehors des murs de sa prison. L’homme est un prisonnier perpétuel. La loi de son désir est telle qu’il se lasse de ce qu’il obtient, et que les plus satisfaits sont aussi les plus misérables, s’ils ne peuvent s’échapper par le rêve. Lorsque tu célèbres la réalité, tu parles d’une certaine réalité qui n’est ni plate, ni basse, ni vulgaire parce que ton imagination l’agrandit. Et le monde qui nous environne, si nous cherchons ses formes, ses figures et les signes qui les représentent, s’élargit en effet subitement. Que nos tendances soient abstraites, portées à se satisfaire de formules, qu’elles soient concrètes et amoureuses d’exemples, l’effort de respiration est le même et l’on marche toujours vers les hauteurs.

Mon Père. — Je crois avoir connu la souffrance, je n’ai jamais connu l’ennui. C’est à l’imagination que j’en suis redevable et je plains sincèrement tous ceux qui sont privés d’elle ; je vais plus loin : quiconque n’imagine pas est incapable d’observer. Car l’observation dépasse toujours le réel, lui donne les sons et les couleurs des sens de celui qui observe.

Je revenais de voyage avec un ami. Nous racontions nos impressions. Lorsque ce fut mon tour, il ne m’interrompit pas, mais je vis à son étonnement qu’il m’accusait tout bas d’imposture.