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DE L’IMAGINATION

Nous étions de bonne foi tous les deux. Seulement, il n’avait rien remarqué des choses qui m’avaient le plus frappé, et il croyait que j’inventais.

Une semblable erreur est commune. Nous sommes portés à croire qu’il ment celui qui en a vu plus que nous. Pour beaucoup d’hommes, les poètes, les visionnaires sont des enfants ou des demi-fous. Le nombre est incommensurable des yeux qui ne voient pas, des oreilles qui n’entendent point, des doigts qui n’ont jamais touché.

Depuis que nous nous occupons de l’imagination, nous n’avons point parlé de ses frontières morbides, de ses déviations, de ses hontes. Est-ce un tort ? Je crois que les monstres instruisent peu. Ils sont des épouvantails bien plus que des sujets d’étude. Le dégoût de Gœthe à leur égard avait des raisons profondes.

Un des privilèges de cette admirable faculté, c’est comme il lui faut peu d’excitant. Un reflet, un geste, un mot suffit. Un homme d’imagination fait avec un regard ce que Cuvier faisait avec un os. Il reconstruit tout un individu.

Moi. — Il est même remarquable de voir combien trop de détails, une richesse d’aliments nuisent à la faculté des images.

Et n’est-ce pas une indication sur son méca-