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VIE ET LITTÉRATURE

celantes, les charrettes à bras, la rapide succession des visages et des attitudes laborieuses l’enfiévraient. Une de ses suprêmes satisfactions fut cette édition populaire que réalisa mon ami et ancien condisciple Fayard. Il tressaillait de plaisir en feuilletant ces petites brochures à deux sous qui mettraient son œuvre à la portée de ces « humbles » dont il comprenait si bien les misères.

Favorisé par le succès, il ne le chercha jamais d’une façon basse. Les « gros tirages » le surprirent, mais ne le grisèrent pas. Je n’ai connu personne qui méprisât l’argent autant que lui. D’une modestie extraordinaire dans sa vie quotidienne, ennemi du luxe et de l’étalage, d’une simplicité touchante dans son vêtement, son intérieur et toute sa conduite, il considérait la richesse comme le piège le plus dangereux de la morale, la source de corruption où s’empoisonne celui qui boit, la cause majeure de dissolution et de haine dans la famille et la société : « L’infamie de l’or ! Elle fut décrite et prophétisée par le sublime Balzac, dont l’œuvre perpétuellement surchauffée et tendue, me représente le poème de la convoitise. Il ne se sert de gnomes ni de géants, comme Wagner, pour raconter l’emprise du périlleux métal ; mais il n’en a pas moins de force légendaire, s’il généralise les