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VIE ET LITTÉRATURE

Ceci explique comment, à côté du Daudet écrit, il y a un Daudet vivant et parlé dont il est nécessaire de laisser une figure même incomplète, telle que je la trace ici. Ce que mon père ne montrait pas dans ses livres, le trop-plein de son cerveau, ce dont il eût redouté la surcharge, cette vapeur inemployée se retrouvait dans sa causerie et ses actes. L’arbre a laissé des fruits immortels, mais la sève courait par le tronc, les branches et jusqu’à l’extrême pointe des feuilles et des fleurs.

J’ai dit qu’il travaillait avec acharnement. Toutefois, aucun labeur ne l’empêchait de recevoir un ami, d’aider un confrère, de conseiller un jeune homme. Nos brusques entrées ne l’irritaient pas. Il nous accueillait par un mot aimable, une drôlerie. Il s’intéressait à toute la maison. Il n’avait point d’heures régulières en ce sens que toute heure lui était bonne. Depuis qu’il ne sortait presque plus, il passait sa vie à sa table, écrivant, lisant ou prenant des notes. Il se levait à sept heures et demie, été comme hiver, et se couchait à onze heures, sauf le jeudi où la veillée se prolongeait.

C’était sa récréation, ce jeudi soir. Son extrême aménité lui faisait un très grand plaisir de ces réceptions simples mais si intéressantes, où nous avons vu en activité les plus nobles intelligences