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ALPHONSE DAUDET

de ce temps. Mon père animait tout, élevait et maintenait la discussion, enflammait les timides, conciliait les furieux, dissolvait les hostilités, les rancunes, renforçait les sympathies. Dans le pitoyable « éreintement » par un pauvre raté symboliste d’un homme qu’il n’a, d’ailleurs, point connu, j’ai lu cette étrange affirmation qu’« Alphonse Daudet ne pardonnait jamais ». D’abord, il ignora la majeure partie des attaques que ne ménageaient pas à sa gloire les jeunes vieillards des petites revues, pour la bonne raison qu’il ne les lisait pas. Puis, les eût-il lues qu’elles auraient tout au plus amené sur ses lèvres un sourire d’indulgence, tant de pareilles appréciations lui demeuraient indifférentes. Mais plusieurs de ses adversaires, devenus ses sincères amis, pourraient témoigner de la mansuétude et de la faculté d’oubli qu’il apporta toujours aux débats littéraires : « La plupart du temps, on s’ignore. Les antipathies féroces et anciennes ne résistent pas à un contact de quelques minutes ».

Et si, aux réunions du jeudi, brillaient les arrivés et les illustres, les débutants ne manquaient point, car il avait la passion du talent neuf, inquiet de soi, il respectait ces forces obscures, qui s’amassent chez un jeune écrivain d’avenir et sortent en paroles excessives, en paradoxes, en frénésie de critique ou d’enthousiasme aveugle. La