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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

mentaires, la dégénérescence générale. Il n’avait plus d’autre ambition que d’écrire ce qu’il pensait et de philosopher avec des amis autour d’une bonne et simple table dans un beau paysage. La lutte, la bagarre, rien de plus vain. Un peu de poussière et c’était tout, avant la cendre finale. Son interlocuteur l’écoutait en tendant l’oreille, mais quand il eut achevé : « Montrez-moi votre main… » Clemenceau retira son gant de fil gris et tendit sa patte d’aristo sous la lumière, mais avec scepticisme, car il ne croyait pas « aux histoires de bonnes femmes ». Jeanniot examina longtemps la paume et les doigts, tourna et retourna l’objet.

— Et alors dois-je faire un héritage ? Ce ne serait pas de refus.

— Non, je regarde autre chose. Votre vie est marquée du soubresaut.

— Comment cela ?

— Du soubresaut et de la contradiction. Vous vivrez très vieux.

— Ah bougre ! En voilà une tuile !

— Très vieux et après des événements extraordinaires…

— Les gens deviendront bons. On aimera son prochain ?

— Pas précisément. Mais vous aurez à jouer un rôle de premier plan.

— Encore !

— Oui et vous l’emporterez.

— Ah ! cela c’est intéressant. Pourvu que le Diable ne m’emporte pas avant.

— Vous aurez bientôt, dans votre vie, un grand désir, sinon un grand amour…

— Il serait temps. Pour une Française ?

— Non. Pour une étrangère.