Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Selma, je vous aime…

— Oh ! mon Dieu, qu’y puis-je, mon ami ?

— Vous vous en doutez bien.

— Mais savez-vous, si je vous aime, moi…

— Vous m’aimerez vite. Me goûter, c’est m’adopter…

— Savez-vous si je n’en aime pas un autre ?

— Helmuth ?

— Certes non. Il est trop vieil…

Elle éclata d’un rire qui montrait ses dents charmantes… des grains de riz.

— Rodin ?

— Vous n’y pensez pas. Il a du génie, mais il est si laid… Revenons avec les autres, on nous épie. Vous me compromettez.

Il l’eut volontiers battue. Mais elle échappait comme une anguille et courait, sur ses sveltes et longues jambes, écouter les plaisanteries de Mariéton, les pétarades de Sarah Bernhardt et les anecdotes rancies du prince de Valori.

Cette année-là, comme les précédentes, Clemenceau devait aller à Carlsbad, en compagnie de l’amiral Maxse. Il y retrouverait le critique danois Georges Brandès, auteur d’un ouvrage surfait concernant « les grands courants littéraires ». Brandès connaissait bien la littérature allemande et fort mal la littérature française. Il était d’une prétention comique et, par-dessus le marché très snob, ne parlant que comtes, ducs et marquis, dont il se disait l’ami intime. Physiquement, il ressemblait à une sorte de Belzébuth chevelu, hérissé, et anonnait le français avec un accent incroyable.

Sur les instances de son vieil ami, qui n’était toujours pas son amant, Selma avait consenti à le rejoindre à Carlsbad, où elle n’habiterait pas le