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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

quement vers Zola avec un besoin de franchise extraordinaire : « Mon cher Zola, je dois vous avouer que je n’avais pas jusqu’ici une grande admiration pour votre œuvre. Mais, après ce que vous venez de faire, à vos risques et périls, je suis votre homme ; vous m’entendez, et, quoi qu’il arrive, Je vous suivrai jusqu’au bout, » Et il l’embrassa avec fougue, cependant que le père des Rougon écartait modestement les bras :

— C’est une force extérieure à moi qui m’a mis en mouvement, mon bon ami.

— Excusez-moi, dit Vaughan, si je vous demande le titre de votre papier.

Chacun se creusa la tête et proposa une formule, car l’auteur n’avait pas d’avis. Clemenceau, qui réfléchissait, proposa brusquement « J’accuse », qui était dans le contexte de l’article en question. Cet avis emporta tous les suffrages. Le mot serait historique, et il le fut en effet. Les camelots le criant à tue-tête, il emplit Paris de sa rumeur. Les gens s’arrêtaient dans la rue glacée pour lire ce cri en plusieurs paragraphes, dont le destinataire, Félix Faure, fut paraît-il très mécontent : « Cela me compromet… » Fort amoureux de la jolie Mme S…, qu’il faisait venir à l’Élysée, le grand dadais se fichait du reste.

Grâce à ses relations politiques, le rédacteur en chef de l’Aurore sut bientôt qu’après deux longues délibérations le Conseil des ministres avait décidé de poursuivre : L’effervescence des Parisiens, le tumulte de presse, les reproductions à l’étranger ne permettaient pas de garder le silence. Zola était le héros du jour. On voyait partout sa photographie. « Hein, mon ami, hein, est-ce croyable ? » Les gens se retournaient quand ils le