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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Ancien médecin, il était tenu au courant, jour par jour, des extraordinaires imperfections et des ahurissantes négligences du Service de Santé, où l’on voyait des internes des hôpitaux employés à de basses besognes, alors que de simples dentistes pratiquaient des opérations en ignorant le manuel opératoire. Certaines amputations furent ainsi effectuées sans lambeau ! De sorte que les os ressortaient à travers les chairs. Le sérum antitétanique manquait. Les blessés étaient transportés dans des wagons sur de la paille souillée. On calcula que des milliers de blessures légères (au mollet, par exemple, ou dans les fesses) avaient entraîné la mort, faute de précautions et de soins. Clemenceau, ayant signalé ces faits monstrueux dans son journal, se vit suspendu pour une semaine. Alors que le ministre extravagant de la Guerre Messimy, amant de la danseuse Gertrude Zell, dite Mata-Hari, faisait passer, dans le Matin, un article du sénateur Gervais accusant faussement le recrutement provençal d’avoir lâché pied dans une bataille des frontières ! C’est alors que Clemenceau changea le titre de l’Homme libre en celui de l’Homme enchaîné. Mais, à la suite de cette petite blague, il résolut de voir Poincaré seul à seul quelques minutes « pour affaire de service ». Le grand Lorrain dut s’exécuter.

Cette visite sans cordialité donna lieu à une des plus célèbres enlevées du Vieux et dont les huissiers de l’Élysée eurent la primeur. Le Président de la République l’a racontée à sa façon dans ses Mémoires où l’amour de ses petits chiens prime, et de loin, celui des combattants français. Il parle du « vieillard irrité » qui le couvrit, pendant une heure, des pires injures et que « vu son grand âge » il ne voulait