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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

ouvrière, Je n’ai que le désir ardent d’aider à sauver mon pays de l’effroyable danger qu’il court.

Une voix. — Il y a la manière !

— La mienne n’est pas la vôtre. Pour moi, je ne suis qu’un vieil homme que l’expérience a rendu sage. Vous me reprochez toutes sortes de crimes ! Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Eh bien, je ne suis pas enragé !

À mesure que la guerre s’avance, vous voyez se développer la crise morale qui est à la terminaison de toutes les guerres. Les brutalités, les violences, c’est la crise morale à laquelle aboutit l’une ou l’autre partie, et celui qui peut tenir le plus longtemps est le vainqueur. Et le grand peuple d’Orient qui a subi l’épreuve de siècles de guerre a trouvé cette formule : « Celui qui est vainqueur est celui qui peut, un quart d’heure de plus que l’autre, croire à sa victoire… » Voilà ma maxime.

Toute ma politique ne vise qu’un seul but : le maintien du moral français à travers une crise comme notre pays n’en a jamais connu.

Nos hommes sont tombés par millions, les sacrifices des classes possédantes ont été formidables à ce point que, quand on parle des riches, on est obligé de leur accoler l’épithète de « nouveaux » riches.

Les pères ont donné leurs fils ; les malheureux habitants des régions envahies ont subi des tortures telles qu’il n’en est pas de pareilles dans l’histoire. L’aviateur Garros me disait avant-hier, dans une visite qu’il m’a faite à mon Cabinet, que si l’un de nos hommes prisonniers en Allemagne ne recevait pas ses paquets de France, il serait obligé de mourir de faim. Voilà la situation de ceux que nous aimons, auxquels va notre pensée, vers qui nous tendons les bras. C’est pire que tout ! Et vous venez me parler de