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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/300

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

des énergies cosmiques qu’il lui échoit la fortune de connaître, de jauger. Son infinité même ne lui devient-elle pas le plus beau titre d’une relation de grandeur entre le monde infini qui s’ignore, et la particule organique qui se sent vivre, c’est-à-dire, pour un temps, s’opposer ?

Ainsi Clemenceau revient à Pascal par la main secourable de M. Homais.

Mais la poussée philosophique du grand homme, que je vous raconte, devait être interrompue par le premier son de cloche de l’ingratitude, venant de la part de son préféré, de son chouchou : le maréchal Foch.

L’ingratitude complète, dite noire, est le fait des Princes, comme des élites, comme des foules. Quiconque, dans sa sphère, vaste ou étroite, se dévoue, se sacrifie, consacre son temps, son effort désintéressé, sa fortune à un homme ou à une cause, doit savoir que, sauf rarissime exception, cet homme le reniera, cette cause s’écartera de lui et qu’il devra rester seul en face de ses illusions — s’il en avait — détruites, tel le fermier devant sa récolte sous la grêle. Il faut savoir, en avançant dans la vie, que le service rendu crée, chez celui à qui vous l’avez rendu, à moins qu’il n’ait une nature exceptionnelle, une sourde irritation et rancune, que la première occasion fera tourner en envie et en haine. Dans les quatre cinquièmes des cas, il est enfantin et même comique de compter sur le moindre atome de reconnaissance. Le fait est à accepter sans amertume et même, à l’occasion, avec un bon rire. L’ingratitude n’est pas un stimulant à la bienveillance, ni à la charité. Elle ne doit pas non plus leur être un obstacle. Il paraît bien que Clemenceau,