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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

de cœur sensible, je vous l’ai dit, souffrit, comme un conscrit, lui le vieil homme expérimenté, du flot d’ingratitude, un des plus beaux de l’Histoire, qui, en peu d’années, le submergea et lui fit, jusqu’à sa mort, un accompagnemnet de marée bretonne, celui du chant du pâtre au troisième acte de Tristan et Yseult.

Je n’ai connu, dans ma longue vie, que deux êtres bienfaisants de nature, qui aient échappé en apparence à l’ingratitude : mon père, à qui ses lecteurs parisiens firent, en décembre 1897, des funérailles sans précédent, et le Professeur Potain. Mais en allant au fond des choses, on eût trouvé, sur les bords de la coupe dorée des libations funèbres, quelques filets du fiel d’ingratitude.

Que n’avait pas fait Clemenceau pour Foch ? Il l’avait adopté, bien que frère de Jésuite. Il l’avait soutenu dans sa carrière. Il l’avait arraché à une disgrâce incompréhensible et imméritée, Il avait fait de lui le généralissime des armées alliées. Il avait obtenu pour lui, malgré tous les obstacles, le commandement unique. Lors de la surprise du 27 mai au Chemin-des-Dames, il s’était jeté entre lui et les parlementaires et, contre toute attente, lui avait conservé le commandement suprême. Or Foch déclara par la suite qu’il avait dû son salut à Lloyd George (!) et maltraita son bienfaiteur dans un « mémorial » posthume, dicté à un tiers et qui étonna bien des gens.

On a allégué que Clemenceau, au 27 mai, l’avait secoué d’importance et devant des tiers, sur le thème : « Je vous obtiens le commandement suprême et voilà ce que vous en faites ! » Il pouvait être blessant sans le vouloir, le Vieux, mais il savait panser les plaies qu’il avait faites, avec une bonne parole