Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

et un geste affectueux. Sans doute son tempérament et celui de Foch devaient se heurter. Foch était un respectueux et un discipliné, le type du soldat qui obéit aux ordres et veut que ses ordres soient obéis. Clemenceau avait l’irrespect chevillé dans une âme généreuse. Quand Foch fut reçu à l’Académie Française, il se félicita de fréquenter assidûment, désormais, des personnes « qui écrivaient si bien ». Ce propos, trop indulgent, fit rire, et Clemenceau, tout le premier, s’en amusa. En outre, il y avait ceci que Poincaré, naturellement fourbe, comme tous les poltrons, avait monté la tête au vainqueur militaire de la guerre contre le vainqueur civil. Tout ceci explique, mais n’excuse pas, l’ingratitude posthume de Foch, qui devait tout à Clemenceau, y compris son bâton de maréchal.

Le Père la Victoire en fut profondément affecté. Il le fit voir dans un gros et curieux bouquin, Grandeurs et Misères d’une Victoire, écrit ab irato d’après des souvenirs et des notes, et qui s’intercale ainsi entre le credo philosophique Au Soir de la Pensée, le Démosthène, que je préfère au reste, et l’étude pénétrante sur Claude Monet, ami très cher et prince de la lumière.

Aux premières pages de Grandeurs et Misères d’une Victoire, on lit ceci qui est émouvant :

Voyons, Foch ! Foch ! mon bon Foch ! Vous avez donc tout oublié ? Moi, Je vous vois tout flambant de cette voix autoritaire qui n’était pas le moindre de vos accomplissements. On n’était pas toujours du même avis. Mais un trait d’offensive s’achevait plaisamment, et, l’heure du thé venue, vous me poussiez du coude, avec ces mots dépourvus de toute stratégie :

— Allons ! Venez à l’abreuvoir.