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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

et dizaines de milliers de cas semblables et anonymes. En même temps revenaient à la surface de la politique les larves d’antan, les Briand, les Caillaux, les Malvy. Tout le monde s’en étonnait et tout le monde le subissait. La France, à tous ses niveaux, semblait amputée de ses réactions coutumières, défibrée, c’est le mot. Un jour, frappé de cette situation et désireux de la tirer au clair, je montai à la tribune de la Chambre et, sous le premier prétexte venu, j’y fis l’apologie de Clemenceau. Je rappelai, en quelques mots le service rendu à la Patrie, les efforts surhumains accomplis à un âge où l’on ne songe plus qu’à demeurer dans son fauteuil, l’encouragement quotidien aux poilus comme aux civils, dans une navette splendide et digne de Plutarque. Je fus fort applaudi. La Chambre se leva et acclama le grand absent, cependant que Bonnevay, Garde des Sceaux, lâchait en l’honneur de Clemenceau, deux pets retentissants. Quant à Briand, il était au supplice, voulait se donner les airs d’une grinçante approbation, croisait et décroisait ses jambes et, pèlerin de son nez, encore plus que de la paix, l’explorait d’un pouce agile.

Les rares hôtes de Clemenceau, retenus par lui à déjeuner et à dîner, revenaient émerveillés de sa jeunesse, de sa drôlerie, de sa vivacité intellectuelle et aussi des menus dont il les régalait, grâce à sa cuisinière Clotilde, créatrice du fameux poulet Soubise. En cuisine, comme dans la vie, il avait, le magnifique solitaire, des goûts simples et la saine horreur des plats compliqués. Cela aussi était un legs de la maison paternelle, car la Vendée est un des pays de France où l’on mange le mieux. Il abondait en souvenirs rapides et esquissés, en vues ingénieuses, en remarques jaillissantes. Son rapide voyage aux