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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Indes ne semblait pas l’avoir beaucoup frappé, et il en revenait toujours à la Grèce. Je me rappelais à ce sujet la définition de mon ami Charles Bernard, le grand critique d’art belge : « La Grèce a filtré, pour l’Occident, les monstres de l’Orient. » Eschyle, lève-toi !

Les propos de Clemenceau, dans sa retraite vendéenne et parisienne, n’ont, à mon avis, aucun pendant historique, si ce n’est ceux de Martin Luther. Tous les traits portent et vibrent dans la plaie. Il élimine un demi-siècle d’observations rentrées, de blagues tant bien que mal refoulées, de soulageants blasphèmes. Puis, brusquement, le ton s’élève, et ce sont les croyances de sa jeunesse et de son âge mûr, qui sont en cause. Car — les témoignages abondent — s’il demeurait silencieux quant à la Révolution, passion de ses débuts dans la carrière, avec des échappées contre ses prétendus géants, s’il brûlait encore l’encens devant l’évolution, il ne croyait plus à sa vieille idole, à la démocratie : « En république, parlementaire ou plébiscitaire, en monarchie, les hommes sont toujours les mêmes et, à quelque classe qu’ils appartiennent, imbéciles, ridicules, dégoûtants. »

Chose à noter, les souvenirs les plus récents, ceux de ses douze travaux de la guerre, revenaient rarement sur ses lèvres d’Hercule au repos. Jamais il n’avait aimé à se faire valoir et laissait la vedette aux gens de théâtre.

Un mot de lui, rapporté par Barrès dans ses Cahiers est significatif. Le voici :

5 mai 1918. — Clemenceau causant familièrement, tendrement, avec son frère Albert, celui qu’il aime et qu’il appelle son gosse, lui dit :