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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Vois-tu, je suis vieux, la guerre et puis le pouvoir m’ont instruit. J’ai manqué ma vie. J’ai fait du dilettantisme. Quelle grande chose j’aurais faite, si je m’étais appuyé sur les éléments sains du pays !

Qu’entendait-il par « le dilettantisme » ? À mon avis, tout ce qui n’a pas trait à la Patrie. Le régime des partis, ou parlementarisme, diminue un homme de cette taille. Il le morcelle et l’use par le contact quotidien de la médiocrité. Quant aux « éléments sains » du pays, il voulait parler manifestement des éléments familiaux, militaires et religieux sur lesquels n’ont pas mordu les paradoxes, ni les prétendus « progrès ». La guerre, enfin, lui avait révélé l’être spirituel qui existe en chacun de nous et que nous dissimulent les soucis de la vie courante, privée ou publique. Il avait lutté contre cette conception nouvelle de la vie intérieure, à l’aide d’Au Soir de la Pensée. Mais l’approche de la mort, que lui indiquait le calendrier, renouvelait chez lui périodiquement le « débat de l’âme et du corps » de ce Villon qu’il aimait tant[1].

Quant au parlementarisme, qu’il avait tant aimé et pratiqué, il avait trouvé cette formule : « Un parlement en voudra toujours à un homme de faire de la politique nationale. » C’est la vérité même. Dans la prodigieuse ingratitude de ses collègues vis-à-vis de Clemenceau, il y avait beaucoup de ce sentiment. La durée de ce perpétuel chineur les irritait. Après tout, avait-il gagné la guerre tant que ça ?

  1. Philippe Berthelot connaissait cette passion pour Villon et, lors de sa première visite à Clemenceau, président du Conseil, il eut soin de glisser dans le poche de son veston, bien en vue, un petit recueil des poèmes incomparables.