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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Monsieur Daudet, je voudrais vous poser une question peut-être indiscrète.

— Allez-y, monsieur le Président.

— Comment se fait-il qu’ayant poussé vos études médicales et étudié la philosophie, vous croyiez en la divinité de Jésus-Christ ? C’est extraordinaire.

— Cher monsieur le Président, laissez-moi vous répondre que l’étonnant, c’est qu’à la fin d’une vie comme la vôtre, ayant réfléchi et souffert comme vous avez réfléchi et souffert, vous n’admettiez pas ce fait si simple.

— Comment, si simple ! (Il assura son calot sur sa figure étonnée.) Mais si Dieu existait, on le verrait…

— Monsieur le Président, la vie existe. Vous la constatez, mais vous ne la voyez pas. Vous voyez votre sang, vos muscles, votre regard. Non la vie, qui anime cependant tout cela.

Il me regardait avec un ébahissement sincère :

— Et que faites-vous de toute la philosophie ?

— Et que faites-vous, monsieur le Président, de saint Thomas et de tous les théologiens ? Ce sont là de très grands philosophes, je vous assure, et qui se fondent sur la raison.

Là-dessus il me prit la main, par-dessus sa table encombrée, entre les deux siennes, et il me dit, avec une expression inoubliable :

— En tout cas, nous avons, vous et moi, une foi en commun : c’est la France,

Pensant constamment à la mort, alors qu’il n’y pensait pas dans les tranchées, bravant une pluie d’obus, il mûrissait dans son esprit une vengeance inédite de l’ingratitude et de l’abandon de ses concitoyens, qu’il avait sauvés de la ruine et de