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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

l’esclavage. Lui aussi, à sa mort, les abandonnerait, refusant toute pompe, tous discours officiels, tout accompagnement. Supposer Poincaré avec son grand cordon, Briand rigoleur, Millerand, ce morceau de charbon froid derrière le catafalque et les autres, et la foule curieuse, les collègues d’Académie, l’épée aux côtés, quelle horreur ! Cette pensée lui donnait envie de vomir. Un seul moyen d’échapper à une telle dégradation, à laquelle ne manqueraient pas les discours hypocrites et les pleurs de crocodiles : la fuite. Où fuir ? Au pays des ancêtres, en Vendée, au tombeau de son père, celui qui n’avait jamais fléchi, qui n’avait jamais connu un sentiment bas. Comment fuir ? En automobile, avec Braban, le fidèle Braban, au volant.

Ce mécanicien chauffeur au si beau nom était une âme d’élite. Il accompagnait Clemenceau aux armées, Sa loyauté était à toute épreuve et apparaissait dans son regard droit. Le maître le fit venir, lui expliqua son projet, sa volonté au cas où la Camarde viendrait à l’improviste. Braban l’écouta en silence, comprit à fond ce que l’on exigeait de lui et, quoi qu’il arrivât, promit d’exécuter le vœu sacré du patron bien-aimé. Il fut récompensé d’une de ces accolades que Clemenceau ne prodiguait pas.

Les études de Claude Monet sur la lumière et la couleur, qui rejoignaient, chez ce très grand artiste, celles de Gœthe, amenèrent les deux amis à s’entretenir de la chaleur. Tout de suite l’esprit synthétique de Clemenceau courut à la transposition morale de celle-ci et il émit cet aphorisme qui vaut les meilleurs de Pascal : « la plus grande maladie de l’âme, c’est le froid ». Résumé d’une longue et vaste expérience accomplie par un homme qui