Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/52

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et dans l’organisme, au point de nous expulser presque de nous-même. Cet état, décrit par maint poète lyrique, est plus fréquent qu’on ne le croit généralement, et il sévit surtout chez les tout jeunes gens des deux sexes, de la quinzième à la vingtième année. Il se fait parfois, chez les deux amants, une polarisation identique des personimages, qui les apparente étrangement pour le plaisir, la douleur, et la mélancolie résultant de la rencontre du plaisir par la douleur et inversement. Ce que sent l’un, l’autre le ressent ; ce qu’exprime l’un, l’autre l’exprime ; ce que tait l’un, l’autre le tait. Tendues au même point, hantées au même point, les deux personnalités vibrent à l’unisson des personimages. Les rêves s’accolent et s’étreignent comme les corps, jusqu’à donner l’illusion, par la simultanéité, de la pénétration morale et de l’échange spirituel. C’est l’état de procréation perpétuelle ; et nous voyons ainsi la fusion des personimages, c’est-à-dire des ascendants, préluder à la descendance, qui ne sera que la projection du plan héréditaire sur le plan vital. Il n’est pas exagéré de dire que l’être nouveau, issu de ces deux séries d’êtres, est formé virtuellement par le désir assembleur d’images, avant même la copulation. Celle-ci ne fait qu’incarner l’élan, la conjonction, la fusion de deux lignées ou cortèges imaginaires, congénitaux.

L’amour de Dante pour Béatrice est le plus grand exemple connu d’une évocation infinie des personimages par une seule image féminine. Le désir, sous sa forme la plus élevée, qui est aussi la