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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

patriote courageux et jusqu’à la mort, du nom de Gabriel Syveton, fit éclater le scandale des fiches de délation et souffleta, en pleine séance, le chef des mouchards (et du même coup les auxiliaires et renseigneurs de l’Allemagne), autrement dit le ministre de la Guerre général André. Cet acte porta à la maçonnerie un coup terrible, dont elle ne s’est pas relevée, dont elle ne se relèvera peut-être pas. Or, le soir même de cet événement, d’une importance historique, j’eus la stupeur d’entendre désavouer ce glorieux et malheureux Syveton (mon ancien condisciple de Louis-le-Grand), par presque tous ses amis et partisans, qui lui reprochaient ce beau soufflet comme impolitique… Impolitique !… Alors qu’il passait en efficacité tous les discours et tous les articles, concentrant en un moment, sur une blême face de chair et d’os, l’indignation accumulée par la célèbre, trop célèbre compagnie des frères mouchards. Pendant toute la journée qui suivit, je chapitrai à ce sujet, à son domicile, passage Landrieu, puis dans la rue, Édouard Drumont, auteur de la France juive, de ce grand pilori nominal, si puissant et majestueux, tout animé d’un bruissement dantesque. Mais, Drumont étant député, d’ailleurs assez muet, et participant à la convention générale, déplorait la gifle vengeresse ; « Ah ! mon ami, tout de même, le général André a soixante-cinq ans sonnés ! » Cet argument me paraissait niais, piteux ; je le dis à Drumont, que j’aimais et admirais de toutes mes forces, et nous faillîmes nous disputer.