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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

Qu’est-ce que le romantisme ?

Je le définirais, psychologiquement, une extravagance, à la fois mentale et verbale, qui confond la notion du beau et celle du laid, en soumettant l’esthétique à la loi de l’énorme, et à la surprise du contraste, ou de l’antithèse. Sa principale caractéristique est la démesure, car : 1° il met tout au superlatif et ne tient compte que de l’excès, dans toutes les catégories et dans tous les genres ; 2° il donne la prédominance au sentiment sur la pensée, à la sensation sur le sentiment, à l’expression verbale et syntaxique sur l’une et l’autre. Il institue ainsi un faux Sublime, auquel la foule se laisse prendre, et qui perturbe le goût public.

Les critiques de la Revue des Deux Mondes et de l’Académie, notamment Faguet (qui a un certain pittoresque crasseux et parfois la chaude couleur de cette crasse) et Brunetière (galopant sur la bourrique paradoxe, à la poursuite de l’esprit qui le fuit), ont défendu cette thèse enfantine qu’il y avait du romantisme chez les classiques. De ce point de vue, un Corneille, un Bossuet, un Pascal seraient les plus échevelés des romantiques. C’est idiot. Le romantisme ne consiste pas dans une certaine impétuosité, intermittente ou chronique, du langage. Il consiste dans le désaccord d’une pensée pauvre et d’une expression riche, et dans la débilité du jugement, qui fait tantôt de la pitié, tantôt de la colère, tantôt du dégoût, tantôt de la mélancolie, la règle forcenée de l’univers et du style. On conçoit qu’un tel déséquilibre mène rapidement à l’in-