Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/126

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enfant. On nous fit boire une tasse de thé aromatique qui nous réchauffa et notre hôte nous conduisit à son laboratoire, qui était au fond d’une cour puante et appartenait à un élève de Bradilin. Là une foule d’animaux étaient soumis à des tortures aussi raffinées que les malades de Boridan : des lapins étiques broutaient mélancoliquement les débris d’une salade jadis verte. Sur leur cage, la pancarte Choléra. Un dans le fond, droit sur ses pattes raidies, fixait le vide d’un œil vitreux. C’était un vrai petit homme habillé de poils. Une déroute de cochons d’Inde, auxquels on avait injecté des virus, se tordaient dans des douleurs tragiques. Quelques-uns, épileptiques artificiels, se jetaient en arrière et poussaient des cris lamentables, au-dessus des plus hautes notes de la flûte. Trois chiens privés de cervelet tournaient sur eux-mêmes, derviches rauques et sinistres. De leurs pattes fendues et de leurs ventres troués sortaient des paquets de ficelles, car, avant de servir à des expériences sur le système nerveux, ils avaient servi à d’autres sur le vasculaire, et, comme nous l’expliqua notre guide, monsieur Bradilin ne gâchait pas les animaux : « Il faut voir comme il tire parti des bêtes, nous disait-il avec admiration. Un jour nous avons reçu une cocasserie, un kangourou. Il a étudié sur lui la variole et la morve ; il l’a curarisé. Après ça, il l’a laissé dix jours dans un bain de mercure. Quand on l’a présenté à l’Académie, il était tout violet et il lui coulait une glaire bleue par les naseaux. Tout de même, il reconnaissait encore et il tournait la tête quand on l’appelait par son nom, Oscar. Enfin l’élève lui a coupé les pattes et M. Cudane l’électrisait. Vous ne le croirez pas ! Oscar est resté à l’agonie deux mois, mais il respirait toujours et il a fallu, pour le tuer, que je lui farfouille la colonne vertébrale avec une tringle chauffée au rouge. »

Plus loin, je contemplai des oiseaux aux ailes rognées. Leurs crânes étaient remplacés par une lentille de verre, à travers laquelle on voyait les battements rouges des ar-