Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cadeaux et pots-de-vin. Là-dessus se grefferont dix mille intrigues, promesses de réceptions aux examens, concours, lèchements de pieds. Pour deux mois la machine à potins, faveurs et scandales est remontée. Nous avons l’insigne honneur d’assister, Trub et moi, au germe de cette magnifique floraison.

Ce n’est pas fini. Foutauge doit interroger quelques malades. On les amène, hommes et femmes, pâles, grelottants, roulant des yeux égarés. Le maître s’est assis. Ce n’est plus le même être. Sa voix et son geste ont changé. Il a l’air, non plus d’un charlatan, mais d’un juge autoritaire et dur. La figure du perroquet s’est glacée. Sa bouche est mince et mauvaise : « Votre père s’est tué. Ah ! Comment ? Contez-nous ça !… Votre mère était une prostituée. Parlez plus haut ! Une pro-sti-tuée, que diable ! Nous savons ce que c’est… Et alcoolique ? Depuis quand buvait-elle ?… Vous-même êtes sujet à des crises d’épilepsie… Vous tombez, vous bavez et ça vous cuit dans la nuque… Au suivant ! » Les élèves prennent activement des notes. C’est ainsi : devant deux cents personnes ricaneuses, ces infortunés doivent étaler leurs hontes, leurs tares et celles de leurs familles, dévoiler leurs secrets intimes. Rien n’arrête l’inquisiteur implacable : « Vous êtes voleuse et vicieuse, madame. La police vous connaît. Vous avez jeté un fœtus à l’égout. — Docteur, c’est que… — Taisez-vous. Je ne vous demande pas d’interprétation. À quelle époque avez-vous cessé d’être vierge ? Et vous êtes enceinte ? C’est du joli !… Bromure de potassium, un gramme. Eau, deux cents grammes. Passez à côté, on va vous donner votre ordonnance… À qui le tour ? » Foutange plonge, avec une adresse diabolique, jusqu’au fond de ces consciences frustes. Il recueille des aveux lamentables, des confidences qui remuent le flot noir, rouge et boueux des souvenirs, amènent aux joues des larmes de honte. Ces confessions, variées en apparence, se réduisent toutes au manque de pain, de gîte,