ticuler un seul mot, et lui me regardait aussi, il me reconnaissait, et ses yeux exprimaient l’indicible bonheur de retrouver ce Canelon, moi, morceau ambulant de la terre natale. De lui à moi, de moi à lui, couraient des flots latents de tendresse. Nous eûmes la prudence de nous contenir, et Lambert ne remarqua rien. Il intercala sa vilaine voix réelle au milieu de notre rêve, et elle nous fut une sauvegarde : « Il vous étonne, hein, mon étranger ? Essayez de le faire causer. Il va vous en conter de cocasses. » Je pris un accent hypocrite qui m’étonna moi-même : « Vous êtes ici depuis longtemps ? — Oh oui, très longtemps. — Vous venez de loin ? » continuai-je, éprouvant le besoin de jeter des paroles sur notre émotion jumelle. Le gardien rit d’un rire idiot. Il était bien l’espace du mal, celui qui éternellement empêche les bras de s’étreindre, les cœurs de se rejoindre, de se serrer l’un contre l’autre : « Oui, et je reviens de loin, répondit mon cher capitaine. — Alors vous croyez en Dieu. — Je crois, j’espère, c’est mon salut. — C’est cela, me souffla Lambert, voilà une des clefs de sa folie, comme dit le père Ligottin. — Ce Dieu vous sauvera, n’est-ce pas ? — Il nous sauvera. J’ai un trésor. Ce sera l’effort suprême. » Et il appuya sur ces derniers mots : « Ah ! ah ! ricana Lambert, Dieu est son trésor. Quelle incohérence stupide ! » Sanot répéta plus fortement : « J’ai un trésor. Allons le prendre. Serez-vous prêt bientôt ? — Peut-être tout à l’heure. Et vous ? — Je serai prêt. » Nous nous étions compris. Je dis au gardien d’un ton indifférent : « Il est ramolli, mais fort curieux. Je suis pressé. Il faut que je rentre. Au revoir. » Et je quittai la cellule…
J’avais l’âme en feu. Je me fis une notion exacte, méticuleuse, de l’endroit où nous nous trouvions, du trajet à parcourir, de la distance qui nous séparait de la grande cage. Ma perspicacité fut extrême. Par cette phrase persistante, J’ai un trésor, Sanot m’indiquait des moyens de fuite. Lesquels ? Je l’ignorais. Mais je le voulais libre