Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/379

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d’abord. Ensuite nous aviserions… L’esprit tendu vers le but, droit et rigide comme une flèche, je repris le chemin de fer et, à peine dans la cité, je courus à la maison d’Avigdeuse. Trub vint m’ouvrir, stupéfait de mon allure fébrile. Je l’attirai à l’écart : « Trub, suis-moi, immédiatement. J’ai retrouvé le capitaine Sanot. Il est captif à la maison de campagne de Ligottin, mais bien portant. Il m’a parlé d’un trésor. Il faut le libérer et fuir. C’est l’occasion unique de s’échapper de cette contrée maudite. — Mais calme-toi un peu. Concertons-nous. Tu perds la tête. — Non, non, non. Demain serait trop tard. La Providence ne tend pas sa main deux fois. J’ai fait mon plan. Suis-moi, Trub. Il le faut. Je t’en conjure. » Je devais dégager une persuasion fluidique, car mon ami n’hésita plus. « Attends-moi cinq minutes. Je réunis mon argent et mes hardes. J’invente un prétexte et je pars. Tu me retrouveras au café d’en face… »

C’était un bouge, hagard comme tout ce qui m’entourait. Je demandai une tasse de café, et je me promis que si le morceau de sucre que j’y jetais formait trois bulles, nous serions sauvés. Les trois bulles apparurent. J’écrivis, en imitant les caractères de Ligottin, un sauf-conduit au titre de Sanot ; puis je le déchirai et j’en recommençai un au titre de l’Étranger, car le capitaine n’avait peut-être pas dit son nom. Trub arriva. Je lui racontai tout en wagon. Le jour tombait dans un brouillard humide quand je me trouvai de nouveau devant la grille de la maison de campagne. Mon compagnon m’attendait à quelque distance.

Je présentai à Lambert l’ordre de me livrer l’Étranger. Il fut surpris : « Comment, comment ?… — Oui, j’ai parlé de ce malade au patron. Il veut l’avoir à sa maison de ville pour l’étudier plus à loisir. — En voilà du nouveau, grommela le gardien, en examinant le papier sans nulle méfiance. Moi, je m’attachais à ce particulier-là. Enfin, puisque c’est l’ordre, obéissons. » Je revis la cellule. Quelques minutes après, le capitaine m’était confié et Lambert me jetait de la