Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/380

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porte : « N’ayez pas peur. Il n’est pas furieux. » Nous étions libres !…

Quand Sanot, Trub et moi fûmes réunis, nous nous embrassâmes tous les trois frénétiquement. J’interrompis ces transports : « Il n’y a pas de temps à perdre. Nous jouons une partie définitive. Quel est ce trésor dont vous parliez ? — C’est, répondit le capitaine, une forte somme, dix mille francs, que j’avais pu sauver de la pacotille en quittant le Courrier. Au sortir de Typhus et comme on nous repoussait d’hôpital en hôpital, j’avais pris un chemin de fer, j’étais descendu à la première station et j’avais enfoui cet argent près d’ici, à tous risques, pensant qu’il me servirait un jour. Au moment où je le recouvrais de la dernière couche de terre, les gardiens de Ligottin me surprirent. Il y a de cela un an et demi ! — Vous rappelez-vous la place ? — Certes. — Courons-y. Pourvu qu’il y soit encore ! »

Nous vivions un rêve haletant. À l’entrée du petit bois, tandis que Trub faisait le guet, nous fouillâmes à l’endroit qu’indiqua le capitaine, au pied d’un gros arbre. L’émoi nous serrait la gorge. Si le trésor avait disparu ! Mais, à peine trois pieds de terre enlevés, les pièces brillantes scintillèrent : « J’ai autour de mes reins, ajouta Sanot, la ceinture qui les renfermait et qui ne m’a jamais quitté » ; et il les glissa une à une dans cette favorable cachette. En ce pays, où l’or peut tout, sa vue me causait une joie délicieuse. Son tintement signifiait délivrance…

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De retour à la ville, nous sonnions chez Crudanet. Il était nuit et je demandai au domestique de nous mettre en présence du grand Chef sanitaire, au nom du professeur Ligottin. Nous entrâmes tous trois dans son cabinet de travail, immense et austère : « Maître, dis-je à ce louche personnage avec assurance, je serai franc. Nous sommes des étrangers qui, il y a longtemps déjà, débarquèrent ici après une pénible quarantaine. Nous voudrions revoir