Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/74

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deux jours, la salle de hurlements tels que je n’en ai jamais entendu. C’étaient des clameurs incessantes qui, par leur violente impression sur les nerfs, activèrent, j’en suis sûr, quelques agonies ; une suite de cris aigus et graves, d’une amplitude infinie, si périodiques qu’on les attendait à la seconde fixe, le corps en sueur, l’oreille brisée ; puis, par intervalles, des beuglements sourds sortis des entrailles. Toute cette force sonore allait frapper durement le haut plafond de la salle, les fenêtres, les vitrages et nous revenait en ondes retentissantes. On essaya de tout pour combler cet abîme de tumulte, mais en vain, et il fallut que la mort, délivreuse taciturne, vînt appuyer sa main sur la bouche, marquer la fin de l’orchestre. Il était temps. Je crois que nous l’aurions achevé, ce brûlé. Son vacarme éveillait en nous les pires angoisses, devenait pour chacun l’image d’un destin fatal et surexcité. Quand il se tut, notre joie fut immense.

Dans la journée, on pouvait se lever. J’endossais une capote de drap bleu, je coiffais le bonnet de coton, et j’allais faire le rond autour du poêle avec les malades les moins affaiblis. Je constatais chez eux un certain goût pour l’hôpital, très préférable, disaient-ils, à leurs habitations. Ils m’appelaient monsieur par déférence : « Vous voyez, monsieur, cet hiver terrible. Il est habituel chez nous. La nature est méchante et froide comme les hommes. Donc, imaginez-vous une chambre sans feu, sans meubles, où le vent se promène et fait des grâces ; sur des matelas privés de crin piaille une vermineuse marmaille. Où trouver de l’eau pour la débarbouiller ? Notre femme cependant se prostitue ou elle est ivre dans un coin et nous, ivrognes, tapons dessus pour nous réchauffer, passer notre colère. Misère ! Quand nous sommes malades à domicile, l’administration du Secours universel, que vous apprendrez à connaître, nous envoie des médecins, souvent pauvres eux aussi et d’autant plus méchants et portés à gratter sur les pauvres. Ils nous brusquent et nous ar-