Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/128

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solide friction à l’eau de Cologne, on lui remit sa chemise, on le recoucha, on le laissa à ses réflexions. Le lendemain matin frais et dispos, l’âme transformée, il se battait comme un lion et recevait les félicitations des assistants.

Ce succès, ce souvenir causèrent sa perte. En relisant, dans la France Juive, le morceau de Carle des Perrières, il se crut reporté à dix-sept ans en arrière. Il sentit sur ses reins, sur son cou, sur ses bras, la poigne musclée de son soigneur. Il s’imagina que, cette fois encore, les choses se passeraient de la même manière. Il n’avait aucune idée du redoutable adversaire en présence duquel il allait se trouver.

Mon père, qui m’a conté maintes fois la scène, en revivait chaque fois les péripéties émouvantes, Drumont était en forme, ravi de son formidable succès, ravi de se trouver en présence d’un juif, ravi aussi de tirer sans masque, et pendant tout le temps du trajet il avait ri et plaisanté avec ses deux amis, Alphonse Daudet et Albert Duruy. À peine le traditionnel « Allez messieurs » prononcé, il faisait son jeu qui est de se jeter en avant, prenant, ou s’il ne le peut, écartant le fer adverse, et de foncer droit. Tous les maîtres d’armes vous disent que ce procédé est pure folie. N’en croyez rien. Sur dix hommes, même courageux, attaqués ainsi, neuf rompront en tendant le bras plus ou moins, offriront l’occasion d’un liement. Le duel n’est pas l’assaut. Il comporte la surprise et le sens du risque. Drumont s’en est toujours admirablement rendu compte. Plus celui que l’on combat est habile, agile et déterminé, plus il faut prendre avec lui le dessus du fer et lui retirer, par une offensive soudaine et hardie, le choix de ses moyens, qui est toute la supériorité. Meyer commença par reculer, puis rejoint, traqué, se sentant perdu, il saisit l’épée de Drumont de la main gauche.

On arrêta le combat. Meyer s’excusa. On remit les adversaires en garde. Au deuxième engagement, Drumont reprit sa tactique et Meyer, de nouveau acculé, la sienne. Mais, cette fois, il ne se contenta pas de parer. Il traversa de son épée la cuisse de son adversaire. Ceux qui parlent, à cette occasion, de mouvement réflexe prouvent leur ignorance complète de la question. J’ai eu moi-même plusieurs affaires, dont quelques-unes assez chaudes. J’ai toujours eu l’impression que mon bras