Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/170

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Ces pêches miraculeuses nous absorbaient presque entièrement. Nous étions submergés de reliques. Dès cette époque, me venait par l’ambiance l’idée ambitieuse d’une monographie d’un homme de génie, dans son cadre et dans son milieu, avec réactions sur l’entourage. Néanmoins je ne devais écrire l’Astre noir que huit ans plus tard, en 1893, dans cette même maison où m’étaient apparus, en 1885 les restes, miettes et débris de la grosse tête de Hugo. Bien que je me fusse appliqué à déformer la réalité autant que possible, il en était resté quelque chose, et la lecture des épreuves de l’Astre noir par Lockroy — lequel d’ailleurs détestait Hugo et était détesté de lui — fut l’occasion d’un joli drame. Hauteville-House est prédestinée aux scènes, et c’eût été là un fameux décor pour le remarquable livre d’Édouard Estaunié : les Choses parlent.

Bien entendu, nous récoltions par monceaux les cahiers menus où étaient relatées les soirées de spiritisme passées autour du fameux petit guéridon de Mme  de Girardin, ou des tables rondes du salon bleu et du salon rouge. La naïveté des « expérimentateurs » était grande, ainsi qu’il est d’usage, car le « cher esprit » s’exprimait tantôt comme Charles Hugo, tantôt comme Vacquerie, tantôt comme Hugo lui-même, sans qu’il fût possible de s’y tromper. La tricherie inconsciente apparaissait là dans sa splendeur, et cette tricherie est comme on le sait, la base de la « Science de l’au-delà ». Le spiritisme m’est toujours apparu comme un état d’aberration, ou, si vous préférez, de semi-aberration en commun, où il entre un tiers d’aveuglement spontané ou provoqué, un tiers de ruse et un tiers de sexualité confuse. C’est, à mon avis, un chapitre de la psychopathie et c’est aussi un jeu très dangereux, où le diable trouve son compte ; car il mène aisément soit à la folie déclarée, soit aux détraquements de tous genres. Il y aurait un volume exact et pathétique à écrire sur les méfaits des tables tournantes chez ceux qui s’y adonnent.

Vu la quantité de « communications » recueillies, il semblait bien qu’à Hauteville-House la prétendue évocation des morts eut été, pendant des mois et des mois, la principale distraction des longues soirées de l’hiver insulaire. Ces pauvres gens devaient tant s’ennuyer ! Hugo avait le dérèglement méthodique. Il consacrait à sa bonne amie tant d’heures, à sa famille tant