u désastre de Lang-Son — à l’occasion duquel il renversa
le ministère Ferry — jusqu’aux jours sombres du Panama,
on peut dire que Georges Clemenceau fut l’homme le plus en
vue de la politique. Son originalité consistait à donner des crocs-en-jambe
aux divers cabinets qui se succédaient alors sous l’étiquette
opportuniste, comme ils le font aujourd’hui sous l’étiquette
radicale. Il accomplissait cette fonction en riant sous
une courte moustache noire, que dépassaient deux fortes pommettes
jaunes. De loin, il ressemblait à une tête de mort. De
près, à un Mongol. Il parlait d’une voix brève, nerveuse, railleuse,
non sans esprit, mais avec une nuance de parade, de face
au public. Sa qualité d’ancien carabin le rendait sympathique
aux étudiants en médecine, et son côté frondeur sympathique
aux étudiants tout court. Nous nous dérangions de nos travaux
pour aller l’écouter aux jours de grandes séances. Les hommes
de lettres disaient de lui : « C’est le seul qui ne fasse pas de
phrases. » On fut néanmoins assez étonné, dans nos milieux,
qu’il n’envoya pas ses témoins à Drumont, après l’apostrophe
fameuse de la Fin d’un monde. Ces deux combattants ne
devaient se rencontrer sur le terrain que beaucoup plus tard,
au moment de l’affaire Dreyfus. Clemenceau est brave, c’est
hors de doute, mais il n’a jamais couru que les risques indispensables
ou utiles.
Aimant déjà l’atmosphère des journaux et le papier imprimé,