Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
LES FILS À PAPA

bondir. Il l’écarta de sa petite main, marcha vers la cantine ouverte, prit la boîte aux rasoirs et sortit sans hâte. Nous l’aurions embrassé ! D’un visage impassible, il continua sa visite, comme si rien d’anormal ne s’était produit. Seulement, à la fin, se tournant vers nous, il murmura : « Je crains bien que ce pauvre général ne savoure pas longtemps ses épinards. » Car il avait le pronostic infaillible, comme un rebouteux de campagne.

Le nom du médecin en chef Villemin est célèbre pour ses remarquables travaux sur la contagion de la tuberculose. C’était un savant en tous points admirable. Il habitait dans la même maison que nous, 31, rue de Bellechasse, et j’ai eu le bonheur d’être soigné par lui à la suite d’un choc violent sur le crâne. J’ai pu me convaincre de la supériorité des médecins militaires de premier plan sur un grand nombre de médecins civils fort réputés et à la mode. Le corps du service de santé de nos armées de terre et de mer a été trop souvent calomnié et rabaissé. Il y a là une élite désintéressée, d’un courage et d’une énergie à toute épreuve, qui a beaucoup fait pour la science, où le scrupule, la discrétion, l’honneur n’ont jamais fléchi. Le cours du professeur du Cazal sur les devoirs de notre métier était une merveille et d’une psychologie plus pénétrante que celle de M. Ribot, à coup sûr. Je garde une profonde reconnaissance à ces maîtres si dévoués et si sages, qui vivaient à l’écart de la brigue de Faculté, sans ambition malsaine, dans l’unique joie du devoir accompli. Au milieu de l’affaissement général des caractères, — affaissement qui tient au régime seul, — ils demeurent une des grandes ressources du pays.

Jusqu’ici, au cours de ces souvenirs, j’ai négligé les épisodes personnels, qui n’ont en général qu’un intérêt fort limité. Cependant, il faut que je mentionne une petite histoire qui fit couler beaucoup d’encre et dont, malgré tous mes efforts, je n’ai jamais eu l’explication complète. Les étudiants en médecine sont tapageurs. Ils prennent souvent dans la rue et aux dépens de la paix publique — comme disent les instructions des sergents de ville — leurs revanches des tristesses de l’hôpital et de l’amphithéâtre. Un soir, au cours d’une bagarre un peu vive avec des passants susceptibles, je fus conduit au poste en compagnie de Jean Charcot, de Georges Hugo et de Philippe Berthelot. L’affaire n’eut d’ailleurs aucune suite, car les torts étaient