l est toujours bon de savoir comment est fait un héros. Je me
rappelle, comme si c’était hier, la première fois où je vis
Jean Marchand, au retour de sa traversée de l’Afrique, chez
Mariéton, 9, rue Richepanse, dans son petit rez-de-chaussée
encombré de livres et de bibelots. Notre Pauloun donnait à dîner
ce jour-là, entre le mur et la porte, à deux pas du piano. Le
menu, commandé chez Prunier, tout proche, comportait un
consommé, un poisson, un rôti, un poulet au riz et à deux
sauces, l’une blanche, l’autre au carry, et une glace. Le brave
concierge servait le repas. On mangeait, on buvait, on récitait
des vers, on chantait, on discutait littérature, poésie, philosophie.
De ravissantes jeunes femmes, appartenant à la société ou
au théâtre, donnaient la réplique au maître de maison et à ses
convives, excitaient l’émulation des inventeurs et des lyriques,
ainsi que jadis aux cours d’amour. On ne peut rien imaginer de
plus gentil, de plus vivant, de plus cordial. La taquinerie elle-même
était ailée, et jamais une sottise, ni un mot équivoque,
ni un gêneur n’étaient tolérés dans ces réunions.
La table était servie, la soupe fumante. La porte s’ouvrit et Marchand parut, mince, droit, en habit, avec sa figure pâle, sa barbe noire bien taillée, ses yeux aimables, si fiers et si rieurs. C’étaient la gloire, l’honneur, le courage qui entraient avec lui, mais dans un cortège si simple qu’on les eût pris pour des habitudes, non pour d’exceptionnelles compagnes. Un mot latin peint tout cela : Virtus. Le grand soldat s’y prit de telle sorte