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la maternelle

nante des messieurs expéditionnaires ; et, malgré ma maladresse à faire valoir, d’autorité, que j’étais sans culture aucune, — à force de persévérance dans l’abaissement ignare, — j’obtins l’emploi de femme de service à l’école maternelle de la rue des Plâtriers, 20e arrondissement.

Un matin d’octobre, mes diplômes celés à tout jamais au fond d’une malle, je pris le tablier bleu et le balai.

Mais, dès le premier jour, une misère inattendue m’étreignit l’âme. On ne quitte pas ainsi son rang, on n’abolit pas si facilement ses facultés maîtresses.

Comme des besoins artificiels tenaillent l’alcoolique repentant dont le corps réclame impérieusement l’humectation vénéneuse, de même, — à cause des lettres et de l’éducation que l’on m’avait inoculées, — j’étais travaillée d’un immense besoin de satisfaction intellectuelle, — le soir, après avoir fait le ménage de mon école, — et je me raccrochais éperdument à mon passé.

Puis, j’avais vingt-trois ans, j’avais été fiancée ; Paris bouillonnait autour de moi ; une sève affectueuse m’accablait de son expansion impossible.

Mais je ne voulais pas m’ennuyer. Alors je sentis qu’en dehors de mon métier manuel il fallait inventer une tâche qui me prouvât la persistance de ma personnalité première. Je devais, chaque jour, au miroir de ma conscience, me reconnaître pour une personne de quelque culture et de quelque sentiment. Il fallait, dans ma vie, une garantie