Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/343

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l’artisan honnête, régulier, intelligent, sobre, qui entretient soigneusement une nombreuse famille. C’est lui qui, avec ses douze heures de travail et ses six francs par jour, vous fournit les jolis trottins, les délicieuses modistes, les minois affriolants sans lesquels Paris ne serait pas Paris. Il part le matin à l’atelier, rentre, se couche, repart, donne son argent : on lui raconte n’importe quoi, lorsque les filles sont en retard ; quand il a usé sa vie à les élever jusqu’à dix-huit ans, un soir, elles disparaissent. Peu après, c’est un vieux triste qui retombe aux salaires d’apprenti ; il a cinquante ans, c’est un vieux d’hôpital.

J’ai changé de rue ; il n’y avait plus de voitures, la chaussée était trop étroite ; par les fenêtres des maisons, toutes sortes de nippes et d’ustensiles débordaient, les taudis étaient si délabrés que je voyais branler les murs. J’ai bien été forcée de m’arrêter : les maisons vacillaient. Je suis restée longtemps appuyée, le dos à une porte, en face d’une fabrique d’où sortaient interminablement des fantômes de femmes en qui je reconnaissais Gabrielle Fumet, Berthe Cadeau ; mais voilà qu’elles me souriaient éperdument de toute leur phtisie pointue, parce qu’il n’y avait pas de pain dans leurs paniers fermés… Montrez-moi, un peu. J’ai dû encore reprendre ma course.

Je ne suis pas entrée dans les Buttes-Chaumont, il m’a suffi de toucher à la grille, je scrutais avec application les cailloux par terre, j’ai vu Kliner, dans le préau.