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la maternelle

Et elle courut se remêler au tourbillon de la cour.

Encore mon étonnement devant le tohu-bohu d’humanité défectueuse ! Encore cette inélégance de la rue qui se réédite dans le fouillis des cheveux, dans les visages à l’air « de mauvaise qualité », dans le fagotage des sarraux, dans les chaussures cloutées ! Comme la minceur des mollets exprime douloureusement la débilité du corps ! Et pourtant, ces enfants sont gais, joueurs, autant que peuvent l’être ceux d’une meilleure condition ; mais leur insouciance ne réjouit pas précisément, elle oppresserait plutôt comme un signe d’incurabilité. Et puis-je me dire indemne de l’émotion répulsive causée par l’idée de race inférieure, pullulante, redoutable, et par l’idée de la contagion du paupérisme ? Mais oui, je souris : une espèce de poupée bohémienne, en pénitence contre le mur, près des cabinets, danse sur un pied, sans repos, face au marronnier, avec la plus grave conviction.

Les femmes de service mangent dans la cantine, un quart d’heure avant la sortie des élèves. J’ai le grand avantage de recevoir gratis de la viande et des légumes à volonté. (La cantinière prélève, de droit, deux gamelles et l’on tolère qu’elle partage avec sa collègue.)

Mme Paulin, qui entend bien garder sur moi un légitime ascendant, me dit avec une sollicitude sévère :

— Vous êtes anémique, il faudra vous bourrer solidement.