Aller au contenu

Page:Lévi - L’Inde civilisatrice, 1938.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de poétiques ; pour avoir copié les modèles, elle a mérité de passer pour un modèle. Écrites à l’usage d’un public raffiné, cour royale et cénacles de gens de lettres, les deux comédies jumelles rejettent à dessein les moyens d’émotions vulgaires : elles s’enferment à dessein dans des thèmes rebattus pour laisser aux esprits délicats la jouissance intacte du « goût » (rasa), cette faculté mystérieuse de répondre aux suggestions physiques du verbe et de donner à l’imagination un essor à la fois libre et discipliné, faculté si précieuse que, pour la mériter, il faut accumuler d’abord une provision de mérites dans une longue suite d’existences.

Harṣa n’a pas la variété de dons de Kālidāsa, ni le pathétique grandiose de Bhavabhūti, il a de l’esprit, du tact, de la finesse, une apparence de badinage et de scepticisme élégant qui l’apparentent à notre xviiie siècle. Et ce bel esprit ose pourtant reprendre la tradition du « mystère » bouddhique introduit dans la littérature par le robuste génie et la foi ardente d’Açvaghoṣa, et tombée depuis en discrédit ; ce serviteur respectueux de la règle classique ose prendre dans la Légende Dorée du bouddhisme un saint et un martyr pour en faire le héros du Nāgānanda, au risque de ménager « aux Saumaises futurs » les pires des « tortures » ; commentateurs et théoriciens chercheront en vain dans les catégories prévues où classer cet original qui, le jour même de ses noces, commet la folie de s’offrir en sacrifice pour épargner à une mère la douleur de perdre son jeune fils, réclamé par une sorte de Minotaure. Harṣa avait trop de goût — j’entends au point de vue indien — pour pousser jusqu’au noir le tragique de l’action ; même en pareil sujet, c’est encore le plaisant, le galant, le spirituel qui dominent ; pourtant, à