Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/100

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dans sa chaire de Halle, fut aussi court qu’éclatant. Son heure était passée. Il connut l’humiliation de parler devant des banquettes vides. Pour l’achever, Frédéric II lui écrivit une lettre assez dure, où il reprochait au vieux philosophe son pédantisme et sa prolixité. C’est Voltaire surtout qui avait dégoûté Frédéric II de cette doctrine tant admirée. Mais une autre métaphysique n’eût sans doute pas retenu plus longtemps un esprit amoureux, comme celui-là, de certitude positive. Frédéric ne croit pas que l’esprit humain soit de taille à résoudre les questions suprêmes, et dès lors la sagesse consiste à n’y pas prétendre. « Dieu nous a donné assez de raison pour nous conduire, et non pas pour tout savoir… Ce que Descartes et Leibniz n’ont pas trouvé, personne ne le trouvera[1]. » Cela n’empêche pas Frédéric de pencher vers certaines solutions que comportent les problèmes métaphysiques. Mais il sait que ce sont des rêves, des espérances, des probabilités peut-être, non des certitudes. Parfois il dit avec Lucrèce que tout est fini après la mort ; parfois au contraire il se persuade qu’il retrouvera les amis chers qu’il a perdus. Tantôt il croit au destin et à « l’aveugle Providence », tantôt non. Sur la seule question de l’existence de Dieu il ne varie point, et sa conviction semble ferme. « Je l’ignore et je l’adore ; j’en sais assez pour savoir qu’il existe, sinon pour le connaître. » Comme Voltaire, il est surtout frappé par la preuve des causes finales, et il trouve plus qu’évident que « pour expliquer une horloge, il faut un horloger ».

  1. Cité par M. Zeller, Deutsche Rundschau, sept. 1885.