Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Tout, même jusqu’à la végétation d’un brin d’herbe, écrit-il encore en 1780, prouve la divinité ; et si l’homme jouit d’un degré d’intelligence qu’il ne s’est point donné, il faut à plus forte raison que l’Être dont il tient tout ait un esprit infiniment plus profond et plus immense. » Un peu plus loin, il parle du « sage » Locke, le seul métaphysicien qui suive l’expérience aussi loin qu’elle peut le conduire, et qui s’arrête prudemment quand ce guide vient à lui manquer. Voltaire, dans Micromégas, avait fait pour Locke la même exception flatteuse.

Toutefois le philosophe que Frédéric II préfère à tous les autres est Bayle. Il l’appelle « le prince des dialecticiens de l’Europe ». Il se considère lui-même comme son élève ; il en recommande la lecture au prince Henri. Pour mieux répandre les idées de Bayle, il en compose en 1765 un abrégé. En 1767, il ajoute à la deuxième édition une préface, où il définit la philosophie de Bayle « le bréviaire du bon sens[1] ». Il goûte aussi Gassendi. Il en lit un extrait en 1761, dans un moment d’extrême danger, où il se compare lui-même à un homme qui se noie. La physique épicurienne lui plaît assez ; mais, pour la morale, il préfère les énergiques stoïciens, et il apprend de Marc-Aurèle à supporter la méchanceté et l’ingratitude. Il se le propose pour modèle, et il croit de bonne foi en approcher. Quel contraste cependant entre le visage doux et tranquille de l’empereur philosophe, et la physionomie mobile et railleuse de ce prince qui adorait la vengeance,

  1. Œuvres de Frédéric le Grand, éd. Preuss, VII, p. 127.