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apparaître nettes et précises. Il a eu plus d’une fois l’occasion de s’expliquer à ce sujet, et il n’a pas caché combien les encyclopédistes lui déplaisaient, dès qu’ils touchaient aux questions sociales et politiques. « Il y a quelques années, écrit-il en 1779[1], nous étions inondés de leurs ouvrages. Parmi un petit nombre de bonnes choses et un petit nombre de vérités qu’on y trouve, le reste m’a paru un amas de paradoxes et d’idées légèrement avancées, qu’on aurait dû revoir et corriger avant de les exposer au public. » Le ton, les tendances de ces écrivains, tout l’indispose. Il trouve insupportable que l’on tranche hardiment de tout, quand on est si pauvre d’idées et d’expérience. Voyez par exemple l’Examen[2] de l’Essai sur les préjugés de d’Holbach (1769). Frédéric II est outré de la présomption du philosophe, et de sa prétention ridicule à vouloir tout bouleverser de fond en comble. Ainsi d’Holbach propose sérieusement d’abolir la religion. « Cette entreprise, dit le royal critique, paraîtra impraticable à ceux qui ont fouillé le cœur humain… Dans un pays peuplé de 16 millions d’âmes, comme on les compte en France, il faut dès le début renoncer à la conversion de 15 800 000 âmes, que des obstacles insurmontables attachent à leurs opinions. Reste donc à 200 000 pour la philosophie. C’est beaucoup, et je n’entreprendrais jamais de donner le même tour de pensée à ce grand nombre. » Frédéric savait bien que l’on ne supprime pas une religion par décret. Le seul projet lui en paraît absurde. « Il n’y a pas

  1. Lettres sur l’amour de la patrie. Œuvres, éd. Preuss, XVIII, p. 239.
  2. Œuvres, éd. Preuss, IX, p.136.