Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/109

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du reste nous exigeons de vous que vous respectiez notre liberté. » Ce dernier point reste vague. Qui sera juge de la mesure de liberté que le prince doit laisser au peuple ? Où placer la borne que le souverain même ne doit pas franchir ? Le roi de Prusse ne s’explique pas là-dessus, mais la réponse se tire aisément du reste de la théorie. Évidemment cette borne doit demeurer mobile. Elle se déplace selon les circonstances, que le prince seul peut apprécier. Comme il ne veut que le bien de ses sujets, il leur laissera toutes les libertés compatibles avec l’intérêt de l’État, et dont ils sauront faire bon usage. Mais s’il est nécessaire, dans un moment de danger, par exemple, il les leur retirera, sans qu’ils puissent s’en plaindre, car l’autorité du prince ne doit jamais rencontrer un obstacle infranchissable dans un droit des particuliers.

On reconnaît la célèbre théorie du despotisme éclairé, universellement admise en Allemagne vers le milieu du XVIIIe siècle. Despotisme, — puisque le prince n’est soumis à aucun contrôle, et fait lui-même la loi dont il exige le respect ; — mais despotisme éclairé, parce que le prince sait que ses devoirs seuls légitiment son pouvoir. « Le prince n’est que le premier serviteur de l’État, obligé d’agir avec probité, avec sagesse et avec un entier désintéressement, comme si, à chaque moment, il devait rendre compte de son administration à ses citoyens[1]. » En deux mots, il n’est responsable devant personne, et il doit se considérer comme responsable devant tous.

  1. Œuvres, IX, 208