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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/112

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n’a pas inventée, mais qu’il a portée au plus haut degré de précision. Toute la vie de la nation est subordonnée à l’intérêt de l’État : la nation même n’existe que par lui et pour lui, et la dynastie régnante n’en est que le symbole et comme l’incarnation. C’est une théorie essentiellement prussienne, que Hegel renouvellera dans notre siècle. M. Droysen[1] en retrouve déjà les traits principaux dans la politique du grand électeur, dont les possessions disséminées à travers l’Allemagne ne tenaient les unes aux autres que par l’autorité commune d’un même maître. Comment créer un État avec ces fragments épars ? En affaiblissant l’esprit local dans chaque province, en subordonnant toujours leurs intérêts particuliers à l’intérêt de l’État, conçu comme une réalité d’essence supérieure, et presque divinisé. C’est ainsi que le grand électeur se garde bien de réunir en un Landtag unique les états provinciaux qui existaient dans ses différents domaines. Au contraire, il gouverne exclusivement au moyen de fonctionnaires, de façon à enlever peu à peu aux états provinciaux tout rôle politique et toute part dans l’administration. De plus, il organise fortement les finances communes et l’armée permanente. « Si dur qu’il dût paraître, dit M. Droysen, aux particuliers, aux villes, aux propriétaires fonciers, à la grande noblesse, de voir leurs intérêts particuliers subordonnés et au besoin sacrifiés à l’intérêt général de l’État, il leur fallut pourtant s’y accoutumer, et peu à peu, dans cet État artificiel à l’origine, il se forma une sorte d’es-

  1. Geschichte der preussischen Politik, t. IV, p. 10-12.