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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/116

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mais de louer la sagesse de son père, qui lui en a laissé beaucoup. Comme M. Albert Sorel l’a bien montré[1], la morale n’a rien à voir dans les rapports des états entre eux au XVIIIe siècle : le droit international public n’existe pas. C’est une partie engagée entre souverains : il s’agit d’avoir plus d’atouts que les autres et d’en faire, s’il se peut, meilleur usage. Tout le monde triche, d’ailleurs, à ce jeu, et Frédéric comme les autres ; mais il le fait avec méthode, et par suite il gagne plus souvent. Ainsi en 1740, lorsqu’il attaque sans provocation la reine de Hongrie, il écrit à Podewils, son ministre d’État et son confident[2] : « Je vous donne un problème à résoudre. Quand on est dans l’avantage, faut-il s’en prévaloir ou non ? Je suis prêt avec mes troupes et tout ; si je ne m’en prévaux pas, je tiens entre mes mains un bien dont je méconnais l’usage ; si je m’en prévaux, on dira que j’ai l’habileté de me servir de la supériorité que j’ai sur mes voisins. » La chose lui paraît si naturelle qu’il tient le même langage à la cour d’Autriche outrée et stupéfaite. Vous êtes faibles et je suis fort. Faites un sacrifice, cédez-moi la Silésie, et je vous soutiendrai contre vos ennemis ; sinon, je me joins à eux et cela vous coûtera plus cher. Vous ne comprendriez pas vous-mêmes, que pouvant obtenir quelque chose de vous, de gré ou de force, en ce moment, je ne le fisse point. L’occasion perdue ne se retrouve pas. Une autre fois, Frédéric écrit[3] : « Quant à la Saxe, elle n’a ni magasins ni cavalerie, et c’est le droit du jeu

  1. L’Europe et la Révolution française, t. 1, liv. I, chap. III-VII.
  2. Corr. pol., I. p. 84.
  3. Corr. pol., I. 92.