Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/117

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de l’écraser avant qu’elle puisse entreprendre la moindre chose, si elle nous est contraire. » Dès les premiers jours de son règne, il pratique en maître la politique de bascule. Pour mettre son alliance à plus haut prix, il paraît pencher tour à tour vers les puissances qui la recherchent[1]. Il excelle dans le marchandage. Le mot qui revient le plus souvent dans sa correspondance politique est « chipotiren », qui perdrait de sa saveur à être traduit. Toujours méfiant, il laisse au besoin ses alliés dans l’embarras, persuadé qu’il n’a fait que les prévenir. « Les Français veulent se servir de nous pour tirer les marrons du feu ; ils seront bien habiles s’il réussissent[2]. » Et raisonnant encore en joueur qui ne veut pas user sa veine : « Après tout, la Haute-Silésie vaut infiniment mieux que rien… Il faut savoir s’arrêter à propos. Forcer le bonheur, c’est le perdre ; en vouloir toujours davantage est le moyen de n’être jamais heureux[3]. »

Les traités servent à enregistrer les résultats des guerres et des négociations : rien de plus. Frédéric est surpris, non pas qu’on les viole, mais qu’on y attache encore la moindre importance. « Ce qui m’étonne c’est que le monde ne devienne jamais plus sage, et qu’après que l’on voit si évidemment la frivolité des garanties, particulièrement dans ce qui regarde la Pragmatique-Sanction, l’on ne se lasse ni ne se détrompe des traités de garantie. Tous les hommes sont fols, dit Salomon, et l’expé-

  1. Voy. Frédéric II et Marie-Thérèse, par le duc de Broglie, t. I.
  2. Corr. pol., II, 145.
  3. Ibid., II, 196